vendredi 16 mars 2012

Personnages d'Histoire:L'abbé HENRI MANCEL


L’Abbé Henri MANCEL, pionnier
du syndicalisme agricole.


Eglise de Monthault,XV-XIXè. 


             Un film documentaire diffusé sur France 3 en 2002, intitulé « Des poissons rouges dans le bénitier » évoque l’histoire de trois abbés démocrates qui marquèrent de leur empreinte la ville, le pays de Fougères et bien au-delà. Il s’agit de Félix Trochu co-fondateur du journal « L’Ouest-Eclair » avec Emmanuel Desgrées du Lou ; de Henri Mancel et de Louis Bridel. L’auteur de ce documentaire aurait pu aussi ajouter l’abbé Auguste Chesnais ou encore, à Vitré, l’abbé Crublet. S’attirant les foudres de leur hiérarchie et l’inimitié des notables, créant syndicats, coopératives, caisses de crédit mutuel, journaux voire même des banques, ces curés républicains dérangent, mais ils  deviennent ,malgré les énormes difficultés qu’ils ont dû affronter, des précurseurs dont la Bretagne porte encore la trace aujourd’hui.






L’abbé Henri Mancel est né à Bain-de-Bretagne le 12 octobre1878; ses parents exercent la profession de marchands de tissus. Dès 1910, il est membre du mouvement Le Sillon créé par Marc Sangnier. Ce mouvement social apparaissait révolutionnaire à beaucoup  alors qu’il était en conformité avec l’encyclique du pape Léon XIII « Rerum Novarum » qui voulait dire « Du progrès  », publiée en 1891 et qui marqua, non sans beaucoup de difficultés, le début de la doctrine sociale de l’Eglise. Rendre sa dignité aux plus pauvres, notamment à la classe ouvrière, n’était pas dans l’ordre des choses jusque là. Un grand malentendu s’installa parfois entre la hiérarchie catholique et les prêtres démocrates qui travaillaient à ce rétablissement bien légitime. Le clergé, en général, était resté conservateur. Les « curés rouges », comme on disait parfois, faisaient désordre et leur position n’était guère enviable. Pourtant, certains, comme ceux que nous avons nommés, tenaient bon contre vents et marées.




L’abbé Mancel est de ceux-là. Ordonné en 1902, dans un climat politique difficile pour l’Eglise catholique qui préfigure les lois sur l’enseignement laïc et la Séparation des Eglises et de l’Etat, Henri Mancel attire très tôt l’attention des autorités diocésaines qui n’appréciaient guère ce courant de pensée. Leur réponse s’exprime par la tactique habituelle : le prêtre un peu trop libre d’esprit est exilé à l’une des extrémités du diocèse, dans une paroisse exiguë si possible. Son champ d’action s’en trouve réduit d’autant . Après son ordination en 1902, l’abbé Mancel, licencié en théologie, est nommé vicaire à Bourg-des-Comptes en 1903, puis à Lalleu en 1906, à Monthault en 1912 et enfin à Gévezé.



Monthault vers 1910.


Comme Mancel déclare haut et fort qu’il est républicain et affiche ouvertement ses convictions, il est « exilé » à Monthault, petite paroisse un peu oubliée aux confins de la Normandie et de la Bretagne, où il  est nommé  vicaire en août 1912. Cette mise à l’écart ne calme pas ses ardeurs, au grand dam du clergé de Monthault et des environs resté quelque peu nostalgique de la monarchie. Aussi lorsqu’il fit jouer la Marseillaise au cours d’une messe et fait applaudir l’apposition d’une plaque commémorative de la Première République, le scandale est à son comble chez les conservateurs qui ne manquent pas d’en informer l’archevêque, ce qui n’arrange guère sa situation auprès des autorités religieuses. Mobilisé en 1914, l’abbé Mancel doit quitter Monthault pour rejoindre le front, ce qui calme un peu les esprits, pour un temps du moins. Après la Guerre, en 1919, il revient à Monthault et reprend son combat en faveur des petits paysans. La sanction tombe aussitôt : il est exilé vers une autre extrémité du diocèse, Gévezé. Mais cette fois, Mancel refuse et préfère se retirer à Bain-de-Bretagne où il vit comme prêtre libre. Dès 1920,  il est démis de tout ministère paroissial par l’épiscopat et, le curé de Bain lui refusant l’entrée de son église, l’abbé Mancel célébre sa messe dans un oratoire qu’il s’est aménagé chez lui.





Très tôt, il s’est intéressé aux problèmes du monde agricole et a été sensibilisé à l’asservissement des exploitants agricoles par les grands propriétaires terriens, notamment par la noblesse locale. Fort de cette doctrine sociale, l’abbé Mancel incita donc les fermiers à s’organiser en syndicat. Ce sera l’origine du « Syndicat des Cultivateurs-cultivants » créé par réaction au « Syndicat des Lices », dominé par des propriétaires terriens de sensibilité nationaliste, corporatiste et antisémite. Son syndicat est exclusivement composé de petits fermiers qui exploitent eux-mêmes leurs terres et qui exercent la profession agricole. Huit ans après sa création, la fédération syndicale qui est devenue « La Ligue des Paysans de l’Ouest » compte 200 syndicats en Ille-et-Vilaine et dans les Côtes-d’Armor et quelque 15.000 adhérents.  Elle est en position dominante aux élections des Chambres d'Agriculture  dans l'arrondissement de  Rennes.



         Les syndicats de Mancel  contribuent à une évolution profonde des mentalités et à l'éclatement de la société rurale: ils s'attirent de nombreux adversaires.Après une intervention infructueuse du marquis de Vogué à Rome, le cardinal Charost se lance dans le combat contre l’œuvre de Mancel. Il fait appeler un autre prêtre, l’abbé Brassier, pour engager la contre-offensive et rallier dividuellement les syndicats de cultvateurs-cultivants. Envers et contre tout, Henri Mancel et ses collaborateurs maintiennent leurs positions, jusqu’à ce que le prêtre se heurte à des oppositions au sein de son propre mouvement menées, semble-t-il, contre lui à la suite d’interventions épiscopales. En décembre 1930, l’abbé Mancel est définitivement écarté après un retournement de majorité au sein du conseil supérieur d’administration du syndicat


          Ainsi contesté, soulevant l’opposition de la noblesse et des grands propriétaires, l’abbé Mancel, dépité et amer, va s’éclipser de la scène syndicale  Malgré la profonde souffrance ressentie par tant d’incompréhension, il ne reviendra jamais sur ses positions et défendra jusqu’à la fin de sa vie « le droit du paysan à vivre de la terre qu’il travaille ». Retiré à Bain-de-Bretagne, sa commune natale, il y meurt le 30 janvier 1954.


Avec les « abbés démocrates », Henri Mancel est à l’origine d’un mouvement social profondément réformateur. Son mouvement  marque une étape importante de l’histoire du catholicisme social. Il a été longtemps une référence comme figure pionnière de l’action menée plus tard par les militants de la Jeunesse Agricole Chrétienne (J.A.C.) qui s'est implantée en  Ille-et-Vilaine à partir de 1929. La J.A.C. ne se donnait-elle pas pour objectif de participer à l’émancipation des jeunes agriculteurs, de les sortir de leur isolement et de défendre l’exploitation familiale ?


  Texte et photos: Marcel Hodebert.
              Page connexe: Bernard Heudré,Fougères, le Pays et les Hommes, 1980.


           
        Sur l'action de l'abbé Louis Bridel au service des oeuvres sociales:

                         Page  de juillet  2012 sur ce site.



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