vendredi 20 janvier 2012

SITES de MEMOIRE: MARIGNY

MARIGNY ENTRE HISTOIRE ET LITTERATURE



      Souvent, il m’est arrivé de conduire des visiteurs à Marigny. A chaque fois se reproduit la même expérience : ces lieux ne laissent personne indifférent ; bien plus ils provoquent le même charme, le même envoûtement, conclu la plupart du temps par le silence. Sans aucun doute, Marigny, avec sa chapelle et son bois dominant l’étang, constitue l’un des plus beaux sites du pays de Fougères.
 Le mot lui-même est élégant, harmonieux, déjà sorti de ses racines bocagères pour voguer vers d’autres horizons où se sont croisés les destins des nations. Paris n’a-t-il pas son hôtel Marigny où l’Etat français accueille certains de ses hôtes ?
     Un ancrage historique

    Marigny, c’est toujours ce même visage de Janus. D’un côté la terre profonde et ses sortilèges, de l’autre les aventures de l’esprit. Le tertre qui donne au site son allure et son mouvement depuis la nuit des temps a dominé des masses fangeuses et des broussailles épaisses. Les vestiges préhistoriques ne sont pas loin, nous rappelant qu’ici l’homme n’a cessé de sentir une présence, une force le tirant de lui-même pour l’inviter à chercher d’autres sources que matérielles. Jamais un lieu n’a été élu au hasard : les moines ont su choisir l’espace qui doit les accompagner tout au long de leur quête spirituelle ; les églises ont été voulues comme flambeau au dessus de la vague des siècles ; les écrivains se sont inscrits dans des demeures en profonde symbiose avec leur environnement.



Chapelle Saint-Jacques de Marigny
face à l'ancien château disparu (copyright SHAPFougères)

       Dès le Moyen Age, s’y installa l’une de ces seigneuries qui quadrillaient le territoire et constituaient comme autant d’espaces protecteurs. Des Marigné aux Gefflot, les familles se sont succédé jusqu’à la Révolution qui prétendit refaire les hommes et les territoires. Ce sont les Harpin, d’une lignée de magistrats, qui ont commencé à faire de Marigny ce qu’il est demeuré jusqu’à nos jours. Jacques, le premier du nom, avait épousé Jeanne du Hallay, fille du seigneur de Landéan. Sa promotion sociale le conduisit jusqu’à la charge de Président du Parlement de Bretagne. Après avoir aménagé le château, tracé le parc et fortifié le site, il ne put profiter longtemps de son travail. La guerre civile de la Ligue le plaça forcément dans un camp : il choisit de rester fidèle au roi de France contre le duc de Mercoeur, gouverneur de la province, qui tenta d’occuper à son profit le siège ducal. Par mesure de représailles ce dernier saccagea château et chapelle de Marigny. Jacques Harpin, par décision d’Henri IV, retrouva la libre possession de ses biens en 1589 mais il n’avait plus l’énergie nécessaire pour tout recommencer. C’est son fils François qui prit le relais comme héritier des charges et prérogatives mais aussi comme maître des lieux. Son mariage avec Thomasse Champion de la Chesnardière, fille de riches teinturiers, consolida sa fortune et lui permit de restaurer le château et la chapelle qui porte le millésime de 1573, avec les armoiries des Harpin et des Champion. La chapelle est placée sous le vocable de saint Jacques, en mémoire du père sans doute, mais n’oublions pas non plus que nous sommes là sur l’un des chemins qui, du Mont Saint-Michel, conduit vers Saint Jacques-de-Compostelle. La fille unique du couple épousa Jacques de Malnoë, plus intéressé par la littérature que par la gestion de ses terres. En 1655, Marigny devint propriété de la riche veuve d’un marchand cirier du quartier de Saint-Sulpice, Jean Gefflot. L’un de ses descendants portant le même prénom, épousa en 1780 Marie-Anne de Chateaubriand, la sœur de l’écrivain, avec laquelle il conserva des relations régulières.
   Au moment des guerres de la chouannerie, Mme de Marigny n’hésita pas un seul instant à prendre le parti pour les révoltés, ce qui lui valut de la part de Loysel, commissaire du district de Fougères, ce qualificatif peu amène : »la plus puante aristocrate que je connaisse » Le château perdu dans l’entrelacs bocager abrita en 1796 une rencontre secrète entre Puisaye, général en chef de l’armée catholique et royale de Bretagne, et plusieurs responsables de la rébellion royaliste, dont Aimé Picquet du Bois-Guy, le colonel de Pontbriand et Henri de Boishamon. L’année précédente, en juin 1795, profitant d’une trêve entrecoupée pourtant d’escarmouches, Mme de Marigny rassembla dans la chapelle soixante-dix-neuf enfants des paroisses de Saint-Germain et du Châtellier pour une retraite préparatoire à leur première communion, prêchée par un prêtre réfractaire, l’abbé Joseph-Julien Sorette, originaire du voisinage, qui avait ouvertement repris pour quelques mois l’exercice de ses fonctions. Il devait périr assassiné par les Bleus, le 4 décembre1799.


   Un site inspiré


     A plusieurs reprises, Chateaubriand vint à Marigny et, bien des années plus tard, dans une lettre, Mme de Marigny rappelle qu’au seuil du salon du château, il y avait une espèce de mansarde où François-René allait écrire et rêver, et dans laquelle Lucile, la sœur très aimée, avait dressé un petit autel de l’amitié.
      En 1810, Marigny fut vendu par le gendre de Mme de Marigny, devenu veuf, au général baron de Pommereul. Dans une note des Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand précise : « Marigny a beaucoup changé depuis l’époque où ma sœur l’habitait. Il a été vendu et appartient aujourd’hui à MM de Pommereul qui l’ont fait rebâtir et l’ont fait embellir ». C’est au début des années 1830 que fut édifié ce nouveau château, de style classique, avec péristyle orné de quatre colonnes en granit provenant de l’ancienne salle de Mortemart dans le château de Fougères, également propriété des Pommereul.




    C’est chez ces derniers que Balzac séjourna lors de sa venue à Fougères pour y préparer son roman Les Chouans. Le fameux épisode du château de la Vivetière a pour cadre Marigny avec ses deux étangs séparés par une chaussée. Le site des Couardes, tout proche, est aussi utilisé par le romancier : «un bassin semi-circulaire, entièrement composé de quartiers de granit, formait un amphithéâtre dans les informes gradins duquel de hauts sapins noirs et des châtaigniers jaunis s’é levaient les uns sur les autres en présentant l’aspect d’un grand cirque ».

     A la suite d’un incendie, le château fut détruit dans les années 1920. Seule demeure la chapelle désormais protégée et entretenue par la Société d’Histoire et d’Archéologie du Pays de Fougères qui en est propriétaire après cession pour un franc symbolique par le vicomte Déan de Luigné, descendant des Pommereul par sa mère. Déjà un arrêté en date du 23 avril 1938 avait classé la chapelle et ses environs immédiats. « L’ensemble formé à Saint-Germain-en-Coglès (Ille-et Vilaine) par la chapelle de Marigny et ses abords, parcelle cadastrale n° 1068,1069, 1070 section A, est classé parmi les sites et monuments naturels, de caractère, artistiques, historiques, scientifiques, légendaires ou pittoresques ». Les légendes, en effet, n’ont pas manqué de naître dans un tel lieu si favorable à l’imagination. La première raconte qu’une ville est engloutie dans les profondeurs de l’étang du château ; parfois, au cœur de la nuit, ses cloches se mettent à sonner. La seconde concerne les Couardes : la pierre du sommet va boire chaque année au ruisseau voisin pendant la nuit de Noël. Malheur à celui qui se trouverait sur son passage !
Marigny poursuit sereinement sa route au fil de l’histoire. La chapelle accueille volontiers les visiteurs qui acceptent de quitter l’agitation et le bruit des villes pour trouver un lieu où le meilleur de l’homme peut encore s’exprimer dans le silence et la contemplation.

                                                                                 Bernard Heudré
 Président de la Société d’Histoire et d’Archéologie du Pays de Fougères.

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